En 2003, Marie-Claude Pasquet, auteure d’un recensement des fonds patrimoniaux écrits conservés en région Centre, soulignait le nombre important des vestiges des bibliothèques populaires subsistant sur ce territoire¹. Aujourd’hui, alors que nous menons un nouveau recensement visant à actualiser les données de 2003, nous partageons un constat similaire à celui qui fut dressé il y a près de 20 ans. Ainsi, plusieurs municipalités du Centre – Val de Loire conservent-elles encore des monographies imprimées sur lesquelles apparaissent des marques matérielles (estampilles, étiquettes, inscription dactylographiée) attestant de la provenance de ces ouvrages hérités de bibliothèques populaires.

Les « bibliothèque populaires » : entre flou terminologique et connotations péjoratives

Le syntagme « bibliothèque populaire » renvoie à une réalité floue. Il ne désigne pas un établissement qui répondrait à des critères bibliothéconomiques précis, mais englobe des structures variées. De surcroît, il a été fréquemment employé dans un discours visant à discréditer ce type d’établissement, à travers des images négatives : « selon les intentions et opinions d’un auteur du XIXe siècle, [une bibliothèque populaire peut] désigner un endroit où la lecture est mise à la portée de tous, un ramassis de bigotes en quête d’ouvrages édifiants, ou un nid de dangereux socialistes. »².

Les « bibliothèques populaires » sont avant tout des établissements qui proposent un égal accès à tous à la lecture.

Les « bibliothèques populaires » : chronologie et diversité

Le libéralisme philanthropique des années 1820 a constitué la matrice des « bibliothèques populaires »³. Ces établissements sont destinés à l’instruction des populations qualifiées alors de « laborieuses »⁴. Ils restent néanmoins peu nombreux, et il faut attendre les années 1860 pour que leur nombre s’accroisse⁵.

Les « bibliothèques populaires » essaiment dans les villes et les villages. Elles sont fondées et gérées par des associations et des sociétés aux orientations tantôt politiques tantôt religieuses ou par des municipalités qui les installent soit dans l’école municipale soit à la mairie. Les bénévoles assurent le rangement des ouvrages, la bonne tenue du catalogue et le respect du règlement intérieur tandis que les lecteurs peuvent lire sur place ou emprunter des romans populaires, des livres d’histoire et de sciences, etc. Ces bibliothèques fonctionnent en réseau. Leurs fonds sont alimentés à partir du catalogue de la Société Franklin ainsi que par des concessions ministérielles et les dons de particuliers.

Un nouveau discours émerge au XXe siècle : celui de la lecture publique, qui se veut en opposition de la « populaire ». Cette dernière est assimilée à « des structures vieillottes et inadaptées »⁶ tandis que la première, que la postérité a cristallisé par la figure d’Eugène Morel, serait plus moderne et plus professionnelle⁷. Dans les faits, ces deux modèles ont partagé de nombreux traits⁸. Les bibliothèques populaires sont restées en place jusque dans les années 1950-1970⁹. La transition – ou la transformation de l’environnement professionnel ? – s’est opérée en douceur dans la plupart des collectivités¹⁰.

Les bibliothèques populaires du Centre – Val de Loire

En 2003, 44 vestiges de bibliothèques scolaires ou populaires avaient été identifiés¹¹. L’origine de ces bibliothèques se trouvait soit dans des confiscations révolutionnaires, soit dans des dons effectués par des particuliers au début du XIXème siècle pour servir à la construction d’une « populaire » (par ex. Chinon, Janville, Morée), ou encore dans des concessions ministérielles (ministères de l’Intérieur de l’Instruction publique).

Souvent peu documentée, l’histoire de ces bibliothèques passe dans un premier temps par l’étude de leurs collections. Le dépouillement et l’analyse des catalogues et des sources archivistiques amèneraient sans doute à des découvertes en matière d’histoire locale. Les résultats de ces investigations permettraient de formuler des éléments de réponse aux questions suivants :

• Quelles formes empruntaient les bibliothèques populaires de l’actuelle région Centre – Val de Loire ?
• Comment fonctionnaient-elles ?
• Quels types de lectorat les fréquentaient ?
• Quel héritage pour les établissements de lecture publique du XXIème siècle ?

Liste des vestiges des bibliothèques populaires subsistant en Centre – Val de Loire en 2022

1. Bailleau-l’Évêque (28)
2. Berchères-sur-Vesgre (28)
3. Bû (28)
4. Dordives (45)
5. Fondettes (37)
6. Mézières-en-Brenne (36)
7. Montargis (45)
8. Nogent-le-Rotrou (28)
9. Ouchamps (41)
10. Pithiviers (45)
11. Pocé-sur-Cisse (37)
12. Saint-Aignan (41)

Bibliographie indicative

Barbier, Frédéric, « Livres, lecteurs, lectures », dans Varry Frédéric (dir.), Histoire des bibliothèques françaises, III, Les bibliothèques de la Révolution et du XIXe siècle 1789-1911, Paris, Promodis – Éditions du Cercle de la Librairie, 1991, p. 579-623.

Boulogne, Arlette, Des livres pour éduquer les citoyens. Jean Macé et les bibliothèques populaires (1860-1881), Paris, L’Harmattan, 2016

Geslot, Jean-Charles, « Des savoirs historiques pour le peuple ? Diffusion et lecture des livres d’histoire dans les bibliothèques populaires (1860-1914) », [en ligne] https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01941926 (consulté en janvier 2022)

Pasquet, Marie-Claude, Mission sur les fonds patrimoniaux de la région Centre, Rapport final, CRL-Centre, 2003

Sandras, Agnès (dir.), Des bibliothèques populaires à la lecture publique, Paris, Presses de l’enssib, 2014

Varis, Laure, La Bibliothèque populaire de la Société républicaine d’instruction laïque d’Orléans : 1882-1914, Mémoire de maîtrise, Université d’Orléans, 1994

Sitographie indicative

Bibliothèques populaires. Histoire des bibliothèques et de la lecture publique, [en ligne] https://bai.hypotheses.org (consulté en janvier 2022)

1. Pasquet, p. 37-38 et p. 112 [↩]
2. Sandras 2014, p. 12 et p. 410-412 [↩]
3. ibid., p. 53-55 [↩]
4. ibid., p. 61 et p. 75 [↩]
5. ibid., p. 76 [↩]
6. ibid., p. 226 [↩]
7. ibid., p. 402-403 et p. 407. Des recherches récentes ont montré qu’Eugène Morel s’était au contraire appuyé sur les bibliothèques populaires pour élaborer des nouvelles pratiques professionnelles car les grandes institutions étaient réticentes au changement, voir Agnès Sandras « Eugène Morel : l’odyssée d’un polygraphe au pays de la classification décimale », dans Les Études Sociales, 2017/2 (n° 166), p. 175. [↩]
8. Sandras 2014, p. 430 [↩]
9. ibid., p. 400 [↩]
10. ibid., p. 433-434 [↩]
11. Pasquet, p. 38 [↩]

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